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14 Novembre 2010
Dimanche 7 novembre 2010, nous étions près de 50.000 sur le départ du Marathon de New-York. Un événement inoubliable pour ceux qui, comme moi, ont eu la chance d'y participer. De retour en Martinique (après de nombreuses péripéties à San-Juan), je vous livre ici des extraits du récit de cette expérience unique. Si vous étiez à NY cette semaine-là (et même si vous n'y étiez pas), n'hésitez pas à partager vos commentaires...
Cette année, la Martinique compte une trentaine de coureurs répartis en deux groupes : Les "professionnels", une délégation d'élites conduite par Jean-Luc, dont les athlètes ambitionnent chacun de réaliser un temps inférieur à 3 heures. Et les "joyeux amateurs" (auquel nous appartenons), dont l'objectif est de terminer la course sans trop de casse. Les deux groupes se rencontrent dans l'avion de New-York. Nos premiers échanges témoignent de la profondeur du fossé sportif qui nous sépare. Nous avons un peu honte d'afficher nos prétentions...
Nous descendons au Crowne Plaza Hotel, au cœur de Times Square. Bel hôtel, chambre king size, cernée de néons publicitaires. Nous dominons les lumières du haut de notre 28ème étage. A nos pieds, bat le cœur de New-York. Dans deux jours, le notre s'emballera au rythme du marathon. Deux jours de répit que nous mettons à profit pour redécouvrir la ville (...)
New-York est sous la pluie, et il fait déjà froid. La température devrait baisser encore jusqu'à dimanche. Un vent mordant traverse les couloirs de Manhattan... Quel temps fera-t-il le jour J? Quel équipement devons-nous prévoir? En attendant, il y a tant à faire et tant à voir dans cette ville. Cinq jours ne suffiront pas : le retrait des dossards au Javit Center, la visite du porte-avion l'Intrepid à quai sur l'Hudson, le concert philharmonique de Carnegie Hall, les studios NBC et le sommet de la tour Rockefeller, le petit déjeuner royal au mythique Hôtel Pierre, le siège de l'ONU, l'incontournable MoMa, les spectacles de Broadway (Mama Mia) et de Radio City, les séances obligées de shopping sur la cinquième avenue et Madison, M&M's, les burgers et les cheese cakes d'après course... Nous enchainons les programmes sous la direction énergique de Bernard, et les conseils avisés de Jérome et Virginie.
Samedi matin, veille du grand jour, plus de 10.000 coureurs se retrouvent devant l'ONU pour la traditionnelle course des accompagnateurs. 4 petits kms vers Central Park dans une ambiance festive en avant-goût du marathon. La délégation française est nombreuse, et soudée derrière son drapeau et sa Marseillaise ! Tous revêtent la tenue "France" offerte par Thomas Cook. Nos compagnons s'élancent joyeusement sous les clameurs et vibrent déjà d'un petit frisson, prémisse de celui que nous connaitrons demain. Nos deux Cathy, Bernard, Michel et Jacqueline viennent facilement à bout du parcours. Roger a un peu plus de mal...
Dimanche matin. Réveil aux aurores. Rendez-vous fixé à 5h30 devant l'hôtel, petit déjeuner pris. Pour gagner quelques minutes, nous grignotons rapidement des barres protéinées dans la chambre, avant de rejoindre le groupe. Un bus nous emmène à Staten Island, point de départ à une heure de route d'ici. Pendant le trajet, nous défilons à tour de rôle dans les toilettes. Il règne un silence inquiet dans le bus, en dehors de Rodolphe qui nous assaille de questions : Comment respirer? Combien de gels faut-il prendre? Eau ou Gatorade? Quelle foulée au départ? Faut-il se couvrir? Porter une casquette? Un cache-oreille?.. C'est son premier marathon, un saut dans l'inconnu.
Nous arrivons à Staten vers 8h sous un ciel bleu et un froid glacial. Le groupe s'éclate dans trois grandes zones d'attente, immenses espaces peuplés de 50.000 coureurs frigorifiés, emmitouflés dans des vieilles couvertures ou des vieux sweets. Chacun trompe l'attente par des massages, des exercices d'assouplissement, ou simplement en dormant sur des cartons. Il est difficile de trouver une place où s'assoir, et nombreux sont ceux qui se résignent à rester debout dans les files de toilette. Ça sent le camphre et l'urine. Des haut-parleurs hurlent en boucle les consignes : attention, trois vagues de départ : 9h40, 10h10 et 10h40, rendez-vous dans votre sas une 1/2 heure avant votre départ. Déposez vos sacs numérotés dans les bus UPS avant 9h30, interdiction d'uriner à la fraiche, Etc. Dans quelques heures, ces camps seront vides. Ne resteront que des tonnes de vieux vêtements abandonnés, qui seront distribués aux SDF de New-York.
L'heure du départ approche. Il est temps de nous engager dans nos sas. Nous sommes maintenant entassés nez contre nuques, comme dans le métro à l'heure de pointe. J'ai du mal à déchirer ma combinaison de papier, et à ajuster mes chaussettes de contention. Ma banane est remplie d'énormes barres énergétiques. Pas un seul gel, aucun comprimé et pas de cardio fréquence mètre (cette année, j'innove). Les orchestres donnent de la voix, et c'est au son de "New-York New-York" que la vague s'ébranle vers la ligne. Coup de canon, sirène, hurlement... C'est parti!
Des milliers de bras levés sur le Verrazano Bridge, la foule s'élance dans l'enthousiasme d'un seul homme. C'est comme une libération, une ouverture de vanne. C'est magique. Il fait froid mais il fait beau. La double couche de dry-fit réchauffe à peine le torse. Les jambes restent nues et seront soumises à rude épreuve : elles devront lutter aussi contre le froid.
C'est à Brooklyn qu'a lieu le premier choc avec le public. Le fameux public new-yorkais. Ils sont des milliers, peut être des millions, à hurler, à applaudir, et à chanter. Ils sont l'âme de ce marathon, ils sont le marathon. Ils nous encouragent, et on a l'impression qu'ils ne s'adressent qu'à nous, individuellement : go Manu, you can do it !.. Il y a des hommes, des femmes, des jeunes, des vieux, des enfants, des pompiers, des policiers... Tous ont la même mission : nous porter jusqu'au bout ! Le froid ne les freine pas. D'ailleurs, rien ne les freine. Ils nous donnent tout ce qu'ils ont d'énergie et de cœur. Sans ce public, le Marathon de New-York ne serait qu'une course de ville comme tant d'autres... Une course municipale sans âme.
Le Queens, puis le Bronx et Manhattan, Harlem, l'interminable First Avenue vers Central Park et l'arrivée qui n'arrive pas... Et toujours le même public, infatigable jusqu'au bout, qui nous tient de sa voix, nous pousse de ses viva, nous redresse de ses cris. Combien de fois aurions abandonné sans lui? Combien d'entre nous lui doivent d'avoir franchi la ligne?
C'est en sortant du Queensborow, après le premier semi, que j'aurais pu renoncer, tant mes jambes étaient raides et me faisaient souffrir. J'aurais pu aussi abandonner un peu plus loin sur la grande avenue de Manhattan, désespérante de longueur. Ou encore en entrant dans Central Park, et même dans le dernier mile qui refuse d'aboutir. Comme des milliers de coureurs, j'aurais pu... Comme des milliers de coureurs, j'ai continué. J'ai continué grâce au public, grâce a nos amis venus nous soutenir, bien sûr, mais grâce aussi à ces milliers d'anonymes, ces inconnus que j'ai senti proches comme des frères. Grace enfin a tous ces bénévoles du marathon qui accomplissent leurs missions avec cœur, délivrant le même sourire répété 50.000 fois...
Nous franchissons tous la ligne avec le même bonheur d'avoir vaincu ces kilomètres. Nous sommes tous épuisés, mais heureux. Nous souffrons tous terriblement, mais nous sommes contents. Et le public nous remercie ! Lui que nous devrions remercier au centuple...