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Laisse-moi te dire

Quand le Christ de Réduit tient le volcan en respect...

Quand le Christ de Réduit tient le volcan en respect...

En ce huit mai, jour anniversaire de la Grande Catastrophe, je vous propose un extrait du "passeur de rimes" (l'harmattan) :

" (...) La voiture serpentait vers la ville de Saint-Pierre. Elle traversait des champs de bananes, des abords fleuris et quelques maisons rudimentaires. A gauche, la roue d’une vieille distillerie tournait encore, bien qu’elle ne produisît plus de rhum depuis longtemps. On quittait la fraîcheur des hauteurs pour le soleil du littoral, là où la ville épousait la mer. A l’arrière, les enfants chahutaient encore un peu, à l’exception de Charles qui était retourné dans son livre. Après cinq minutes de route, on s’arrêta à mi-chemin, dans un virage au pied d’une grande croix cernée de bambous. En contrebas, tournant le dos au crucifix, une nappe verte s’étirait au loin. « Le Christ du Réduit », dit madame Rose en tirant le frein à main.

- C’est ici qu’en 1902, la nuée ardente s’est arrêtée. On dit même que dans ce virage elle a brulé les chevaux d’une carriole tout en épargnant son chauffeur. L’explosion a décroché le christ, sans parvenir à le détacher complètement. Jésus a fléchi mais n’est pas tombé. Et dans ses ultimes forces, il est parvenu à repousser l’enfer.

-Vous parlez de l’éruption de la Montagne Pelée, je suppose ?

- Oui, fit-elle. Nous sommes ici à la limite exacte du feu. A droite l’enfer, à gauche la vie. Derrière cette croix, ce fut la désolation jusqu’à la mer.

- Ce cataclysme a profondément meurtri le pays, et soixante-quinze ans après il marque encore les esprits…

Les enfants avaient cessé de s’agiter. Ils ouvrirent les portières sans quitter l’habitacle. Madame Rose se retourna vers Chloé et lui dit : « Vas-y, on t'écoute ». Tous nos regards se posèrent sur elle, sauf celui de Charles qui restait planté dans son livre.

Chloé portait un short et des tennis. On ne l’avait jamais vue en robe ni en jupe. Elle était jolie, mais elle semblait ne pas le savoir. Elle n’avait pas de copine, car elle trouvait les filles du collège sans intérêt. Elle ne supportait pas leur mièvre compagnie, préférant de loin les jeux des garçons. On la voyait souvent dans les parties de football ou sur son vélo avec ses copains. Elle n’hésitait pas à grimper aux arbres, salir ses pantalons et sauter dans les flaques. Les « inséparables » avaient oublié qu’elle était une fille, sauf peut-être Arthur… Chloé déplia une feuille et d’une voix timide, elle dit :

Christ, pour te délivrer de ton morne abandon,

Pour ton Ascension vers la maison du Père,

Une nuée ardente, un matin de colère,

Vint détacher les clous qui rivaient tes tendons.

Mais d'un regard, tu fis s'enfuir les légions ;

Trop de cris s'exhalaient du bûcher funéraire,

Trop de larmes mouillaient ces cendres d'ossuaire :

Tu voulus demeurer en expiation.

Comme une sentinelle au détour de la route

Tu penches ton front pâle et sanglant à l'écoute

Des rumeurs de l'enfer qui viennent mourir là.

Hélas ! Ces bras ouverts, ce geste qui protège ?

En vain ! Toujours la mort est là qui nous assiège

... Alors pourquoi, Mon Dieu, avoir permis cela ?

Puis elle me tendit le feuillet. Elle avait les yeux humides. Un silence de mort régnait dans le véhicule. Le Christ du Réduit se dressait devant nous, majestueux, comme une porte. Une porte d’enfer (...)

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