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Carol ALLAIN est Conférencier, Formateur et Conseiller en ressources humaines auprès des entreprises, organisations et associations. Il a publié plusieurs ouvrage de référence sur la Génération Y. Il sera en Martinique le 9 juillet 2012 pour une conférence décoiffante à Madiana (18h30). En attendant, il nous livre ici sa vision d'une génération incomprise par bon nombre de chefs d'entreprises...
La Génération Y : pour une coopération réussie
Au cours des dix dernières années, nous avons eu du mal à comprendre les jeunes adultes et à les définir, et cette difficulté continue de nous inquiéter. La nouvelle génération se caractérise par la rapidité, l’instabilité et la précarité propres à son époque : il ne fait aucun doute qu’elle aura des répercussions considérables sur le fonctionnement des entreprises, voire de la société.
Nous devons saisir, je pense, la combinaison unique de découverte et de diversité, de grandeur et d’originalité, qui caractérise la génération Y. Pour appréhender l’identité de ces jeunes adultes dans toute sa richesse et toute sa complexité, nous devons d’abord percevoir à quel point ils nous interpellent, en dépit de tous nos efforts pour les écouter puis nous rendre compte combien sont superficiels et partiels les jugements simplistes que nous tenons les uns et les autres à leur propos.
Par leur goût des liens inédits, les jeunes adultes ont aussi une dimension d’artistes, en quoi ils se différencient plus radicalement encore des adultes des générations précédentes. Ils s’intéressent à ce qui leur est moins familier. Ce sont des découvreurs. Leur univers n’est jamais clos, mais susceptible de s’ouvrir sans cesse à des combinaisons inattendues.
Émetteur plutôt que récepteur
Esprit volage, le jeune adulte aime atteindre les limites, tenter le risque. La sagesse ne l’intéresse pas outre mesure, surtout si elle signifie le consentement à la réalité telle qu’elle est. Sa revendication d’inachèvement le range évidemment dans le camp des antidogmatiques. Il est en effet capable de « s’occuper de ce qui ne le regarde pas. » Le braconnage des savoirs qui le caractérise peut l’arracher à lui-même pour le jeter dans la mêlée. Chez lui, le goût pour la pensée est potentiellement subversif lorsqu’il invite au « pourquoi pas », au « comme si », à l’ailleurs. On s’accorde du reste pour le considérer comme un « émetteur » plutôt que comme un « récepteur. »
Est-il nécessaire de le mentionner ? La génération Y a souvent la réputation d’être irresponsable. Il faut d’abord l’entendre au sens premier du terme : le jeune prétend n’avoir de compte à rendre qu’à lui-même et n’accepter d’autre autorité que lui-même. Il ne reconnaît pour guides ni les traditions, ni Dieu, ni ses parents, ni ses employeurs, ni les maîtres de l’heure. Penser est pour lui un acte solitaire, tantôt exaltant tantôt désespérant, mais jamais confortable.
La « génération Y », qui succède à la « génération X », a vu le jour en 1979, à une époque où une majorité de mères étaient sur le marché du travail. À tort ou à raison, les Nexters (on les appelle aussi la génération millénaire, Écho, Net, « Next », « Why », « M.t.v. », Numérique, Citoyen du monde, Caméléon) sont reconnus pour ne pas exécuter d’emblée ce qu’on leur demande. On les dit paresseux, peu loyaux et prêts à tout abandonner s’ils ne trouvent pas satisfactions à leurs besoins. Avant d’agir, ils veulent des explications, comprendre les motifs derrière les directives, savoir pourquoi.
Le jeune adulte ne cache pas qu’il veut d’abord être lui-même. Il est impossible de ne pas s’en apercevoir lorsqu’on prête attention à ses propos, à ses intentions, et à ses dialogues également. Pour lui, les carnets de bord en ligne, les messageries et les forums sont devenus des outils branchés pour partager ses passions, se faire des amis… ou plus si affinités. Entre le virtuel et le réel, c’est tout un univers de rencontres qui s’invente, avec ses codes, son langage. Le jeune adulte teste, il aime ou il déteste, toujours avec la possibilité de se débrancher, puis de recommencer sa quête.
Le jeune adulte veut séduire, oui, mais autrement. En recourant aux mots plutôt qu’à la voix. À travers les émotions que symbolise le sourire, plutôt que par ce corps qui rougit, trahit, flageole. Il parle, face à la caméra, la voix rauque, l’œil vif, pétillant, Mais on sent malgré tout une certaine amertume chez lui, due à l’absence ponctuelle de repères venant de ces proches, son père, sa mère.
En critiquant leurs parents, les jeunes adultes expriment aussi le besoin d’avoir de nouvelles certitudes. Bien sûr, les parents commettent des erreurs, se montrent maladroits, mais l’éducation n’est pas une chose aisée, notamment lorsqu’il s’agit d’établir un équilibre entre la stabilité et les évolutions nécessaires. Au final, la leçon que doit retenir la génération millénaire est que personne ne connaît les choses avec certitude et de façon définitive. Il faut savoir s’adapter.
Pour eux, l’adolescence n’existe pas ; ils n’envisagent des relations qu’avec les adultes, donc leurs propres parents et professeurs, et que dans le cadre d’un échange parfaitement équitable. Ils construisent et organisent leur vie comme un kaléidoscope réglable en fonction des exigences du moment. C’est cette capacité, pour ne pas dire cette stratégie permanente de l’adaptation, qui leur vaut le nom de génération « caméléon ».
Habitués dès leur plus jeune âge à gérer l’abondance de l’information et à maîtriser les nouveaux outils de communication, les jeunes adultes ont appris à surfer intuitivement sur l’océan d’images et de sons qui leur parvient quotidiennement. Ils se structurent selon des paradigmes et des modalités culturelles radicalement différents de ceux qui prévalaient jusqu’alors. Leur appréhension du monde est immédiate et associative.
La génération Y est un jeune adulte radicalement détaché, un enfant de l’âge de l’information qui fait ressortir la fausseté du monde. Il se targue d’avoir l’attitude désintéressée qui sied à un directeur financier à l’égard d’à peu près tout. Il est émotionnellement muet, socialement aussi, et par conséquent difficilement capable de parler en employant le mot « nous ». Il reste imprégné du « je » en l’appliquant à toutes ses affirmations, ses revendications et ses exaltations.
Les jeunes adultes de la génération millénaire introduisent un nouveau discours : le matériau de la vie n’est pas la stabilité et l’harmonie quiète, mais plutôt cette lutte permanente entre les contraires. Tout est suggéré, se devine, puis s’impose.
Qu’est-ce à dire, sinon que le jeune adulte ne se définit plus par sa capacité à faire des promesses, mais par son droit discrétionnaire de reprendre, à tout moment, sa liberté ? L’engagement, qui était jusqu’à une date récente la marque de l’autonomie, apparaît maintenant comme un fardeau ou une entrave. Le jeune adulte ajoute : « Rien d’autre n’est moi en moi que mes envies, mes passions ou mes humeurs actuelles. »
Le jeune adulte un peu poète, cavalier, intrépide et volontaire. Jeune rebelle, il déteste les figures imposées, prend un malin plaisir à sortir de ses propres sentiers battus, à casser une image trop attendue. Il explore et prend des risques. Il se méfie des mots. La frustration se lit dans ses actes. Ses humeurs vont de la mélancolie à l’ironie. Il a besoin qu’on accompagne plus sa mélancolie que son esprit d’aventure. Il est moins à prendre avec des pincettes que son âme. Naïf ou sophistiqué, le jeune adulte trouve sa place. Une cohabitation entre casser et construire, entre perturbation et harmonie. Ce n’est pas qu’une histoire esthétique, c’est aussi son état mental.
Besoin de cultiver le narcissisme de la différence ? Réaction à la standardisation galopante ? Le jeune adulte recherche en fait une identité visible. La tendance se veut légère, lumineuse. C’est le retour de la fête. C’est l’espoir qui revient. Le jeune adulte adopte une forme de snobisme bien à lui, et qui veut l’adopter doit en connaître les mots clefs.
La génération millénaire ne prête donc aucune attention à ce qui ne relève pas de ses besoins immédiats. Ce qui compte, c’est le style, le panache, le talent de dire et de faire presque n’importe quoi. Une trajectoire ascendante, le pouvoir pour le jeune adulte n’est pas représenté par l’argent ou l’influence, mais le dynamisme, une « image convaincante », une « réputation de gagneur ». Axel de répliquer : « Ne me faites pas confiance. Je me défie de la flatterie, de la loyauté et de la sociabilité. Je ne crois ni à la déférence, ni au respect, ni à la coopération. Je crois à la peur. »
Ces jeunes adultes sont issus d’un segment de la société relativement restreint et culturellement conservateur. Certains rejetteront les valeurs de leurs parents, comme cela s’est toujours fait. En somme, ils ont plus ou moins les mêmes valeurs que leurs prédécesseurs, mais ils n’ont pas les mêmes priorités et les mêmes séquences d’action. Ils suivent cette vieille règle selon laquelle on oublie ce qu’on entend, on retient ce qu’on voit et on comprend ce qu’on fait.
En quoi cette nouvelle génération diffère-t-elle de la précédente ? Tout d’abord, les jeunes adultes vivent dans un monde plus complexe, plus insécurisant et en constant changement. Il en résulte que les employeurs devront nouer avec eux une relation plus contractuelle et, surtout, reposant davantage sur la confiance. La philosophie des jeunes adultes consiste à dire : « Voilà ce que je vous apporte. Vous qu’avez-vous à m’offrir ? » Ils sont très conscients qu’ils travaillent pour le profit de quelqu’un qui est déjà bien riche. Il ne faut donc pas leur demander de s’investir à fond. S’ils se font avoir, ils deviennent cyniques !
Ensuite, ils sont habitués à recevoir, à séduire, à s’exprimer, et ils sont également plus gourmands, plus opportunistes et beaucoup plus revendicateurs que la génération précédente. Les employeurs doivent donc s’accrocher et s’attendre à ce que les jeunes adultes contestent avant même qu’on ait dit un seul mot. « Être plus, avoir plus », telle est leur devise.
Dans un tel contexte, il est impossible d’encadrer ces jeunes adultes aux profils contrastés comme on le faisait hier avec leurs aînés. Donnez-leur des défis qu’ils seront les premiers à relever. Ils adorent être aux premières loges. La génération millénaire sait s’adapter et aime créer des réseaux. Elle est instruite et aime apprendre. Sont-ils loyaux ? Pas du tout. Intimidés ? Très peu. Ils sont à l’aise devant l’autorité, peut-être même trop. Certains ont eu un père qui travaillait beaucoup et qu’ils n’ont pas vu. Ils vont donc chercher des mentors, mais la relation est parfois inappropriée. Comme les jeunes adultes misent plus sur l’affectif que sur le rationnel, le lien émotif est trop fort, et quand leur mentor quitte l’entreprise, ils sont perdus !
Il ne consomme pas pour assurer sa subsistance, mais pour communier dans le mythe d’un progrès incessant et providentiel, pour afficher les signes du bonheur et de la réussite ; le jeune adulte ne saisit pas une offre d’emploi par nécessité, mais pour prendre part à une « grande aventure », « se réaliser », « se dépasser ».
Les employeurs désireux de bien comprendre la nouvelle génération des travailleurs doivent considérer trois facteurs :
1) le milieu d’où est issu le jeune travailleur ;
2) les influences de ce milieu sur le jeune travailleur ;
3) les nouvelles approches de gestion.
Dans la même direction, ils doivent suivre un scénario sur mesure : un contexte, un problème, une rencontre. Chaque jeune travailleur a son propre ensemble distinct de valeurs, de visions de l’autorité, d’orientation sur le monde, de sens de la fidélité, d’espérance et de conduite dans son environnement de travail. Une des principales stratégies permettant de rendre le lieu de travail attirant pour ces nouveaux travailleurs est d’assurer sa diversité. Avoir un employé doué qui soit disposé à rester tout en demeurant motivé est le défi auquel font face les gestionnaires ainsi que les hautes directions.
L’important est d’abord de comprendre ce qui se mijote dans leur tête, de saisir leur vocabulaire qui ne comporte plus de notions telles que structure, hiérarchisation, objectivité, stabilité. Ils préfèrent un langage plus convivial : guider, accompagner, supporter, motiver, faciliter, partager, mobiliser. Ils suggèrent une théorie de l’engagement en fonction de leurs valeurs plutôt que celles des autres. Leur connaissance de soi se présente plutôt comme une certaine forme d’indépendance d’esprit. Je dis aux employeurs : si vous tenez à les garder pour quelques années, offrez-leur un salaire de base suivi de bonifications reliées à un ensemble de réalisations (ponctualité, engagement, loyauté, attitude élégante, échéancier, sens de la collectivité). Ils adorent le défi, la provocation douce, la négociation, les petites améliorations.
N’ayons pas peur de le dire, le jeune adulte sera le génie de faire savoir. Il a plusieurs talents. Son horizon ne s’arrête pas à sa profession. Au contraire, il signe, il se colle au moment présent, il stocke tout ce qu’il voit, il invente de nouveaux concepts au rythme des images qui captent son regard. Ses traits de personnalité ne cessent de surprendre : cultivé, curieux, impatient, voyageur, instable, et surtout porteur d’une ambiguïté, mais celle-ci ne s’exprime pas d’emblée.
Ils deviendront ce qu’ils ont vécu : apprendre contre récompense. Ils vivent dans un monde où les deux parents travaillent et dans lequel les couples se séparent. Ils ont été aussi les premiers à se balader avec une clef suspendue à leur cou. Dès leur jeune âge, ils se gardaient eux-mêmes et se faisaient à manger. Ils comptent sur eux-mêmes. Leurs obsessions : traquer la léthargie.
Leurs parents ont planifié des activités pour eux, avant et après la classe, et pendant le week-end. Ainsi, lorsqu’ils arrivent sur le marché du travail, souvent ils gèrent leur temps pour la première fois.
Le système de valeurs de ces jeunes est basé sur les droits plutôt que sur les responsabilités. Leurs parents ont favorisé leur estime de soi (sentiment de confiance) au point où ils ne connaissent pas la modestie. Plusieurs d’entre eux ne connaissent pas non plus la valeur des choses (les parents ont négocié le prix mais rarement l’achat) et sont habitués à tout obtenir, sans effort. Ils ne sont pas prêts à accepter autant de contraintes que leurs prédécesseurs.
Les employeurs devront s’accrocher, car les jeunes adultes arrivent avec un cartable bien rempli, une description détaillée de leurs attentes, et, à la moindre provocation, ils leur lanceront une phrase déconcertante en plein visage. La servitude du lien avec le « collectif » est brisée ! Autonome, le jeune adulte est désormais le législateur de sa propre existence. Il est roi ! Il ne doit plus rien à personne. L’éventail de ses choix personnels s’est ouvert, comme jamais ce ne fut le cas dans l’Histoire. C’est à vous, chers employeurs, de célébrer avec une ferveur singulière tout ce qui ressemble à un lien de substitution : fêtes, voyages, bonifications, formations, programmes ciblés ― autant de marques de reconnaissance autres que monétaires. Ces moments fusionnels ont d’autant plus les faveurs des jeunes adultes qu’ils viennent combler un manque ou consoler une solitude.
L’individualisme a creusé entre les êtres une distance, un vide, que ces cadeaux profanes peuvent quelquefois remplir, l’espace d’un moment. De fait, ces faveurs occupent une place de plus en plus importante dans leur imaginaire collectif et dans les mots qu’ils expriment. Dans le langage de ces jeunes adultes, « s’éclater », « s’exploser » ou « faire la fête » signifie retrouver un lien.
Les employeurs d’aujourd’hui doivent ainsi relever un défi majeur : permettre à la main-d’œuvre de se sentir partie prenante de l’avenir de son entreprise.
Toutes les sociétés cultivent l’idée qu’elles ont en leur sein des individus qui incarnent l’exception. Ce sont aujourd’hui les jeunes adultes qui jouent ce rôle. Si ce n’est plus eux, il faudra en trouver d’autres.