Idées, projets, vision... pour faire bouger le pays, les gens et les marques en Martinique et ailleurs...
16 Juin 2019
Dans le cadre de son Assemblée Générale qui s'est tenue jeudi 13 juin 2019, Contact-Entreprises a donné la parole à cinq jeunes martiniquais de retour au pays.
C'est notre avenir qui s'exprimait, sans langue de bois, avec intelligence et saine impertinence devant un parterre de dirigeants martiniquais. Leurs témoignages ont marqué les esprits et bousculé bien des pensées conventionnelles.
Chacun à sa manière a dénoncé l'esprit de fermeture qui oxyde les rapports entre martiniquais. Chacun est prêt à mettre son talent au service d'une Martinique plus ouverte, plus verte et plus vertueuse. Notre attractivité dépend en effet de notre engagement environnemental et de notre volonté sincère d'ouverture.
Parmi eux, Anicet ZADICK, jeune ingénieur en environnement et énergies renouvelables, a livré son témoignage personnel dans un discours incisif. Ses propos, qui n'engagent bien sûr que lui, s'adressent à notre vieille génération. Celle qui tient encore les manettes, debout sur les freins du changement...
L'intervention d'Anicet ZADICK :
Pour ceux qui ne me connaissent pas, je suis Anicet ZADICK, martiniquais de 29 ans et rentré au pays depuis un peu plus de deux ans maintenant. J'ai quitté l'île à 18 ans pour entamer un cursus "classe préparatoire" scientifique. J'ai ensuite poursuivi une formation d'ingénieur, et, une fois diplômé, j'ai décidé de me lancer dans un doctorat.
En gros, je me suis assez rapidement dirigé vers des thématiques en accord avec mes aspirations et mes convictions personnelles : à savoir, les énergies renouvelables et l'environnement, plus généralement. Mon parcours académique et professionnel m'a permis de m'enrichir d'expériences internationales significatives, aux États-Unis et au Brésil notamment.
Pendant ces années passées à l’extérieur du territoire, s’est forgée, petit à petit, mon envie de contribuer au développement de la Martinique. Je pensais initialement contribuer "à distance", et je dois avouer que mon retour physique sur le sol martiniquais a été un coup du sort : un mélange entre provocation du destin et d'aléas !
Ceux qui me connaissent, savent que je suis très impliqué associativement pour la Martinique, sur des thèmes liés à la formation académique, au départ des jeunes et au retour des diplômés. Mon vécu, ainsi que celui d'autres que j'ai été amené à côtoyer, à suivre voire même à aider, ont quelque peu affaiblit mon optimisme débordant des débuts.
Si je reste résolument positif, j'ai bien dû accepter la Martinique telle qu'elle se présentait à moi à mon retour et telle qu'elle se présente encore aujourd'hui. Lorsqu'on rentre en Martinique, jeune, dynamique, instruit, diplômé, c'est à dire lorsque l'on sait que le reste du monde nous ouvre ses bras, et bien, on ne reste jamais, en tout cas dans les premiers temps, très loin de sa valise.
Car la réalité, c'est que l'on revient souvent pour une opportunité précise (un poste précis dans une entreprise précise). Nous rentrons sans savoir si le tissu économique local nous permettra de rebondir en cas de pépin ou d'envie de progression. D'ailleurs, lorsque l'on quitte la Martinique à 18 ans, on ne connaît rien du monde économique dans lequel on met les pieds : en somme, lorsque l’on rentre, on redécouvre littéralement son territoire.
Si revenir en Martinique est un pas, ranger définitivement sa valise est aujourd’hui un acte militant qui signifie : "je suis chez moi, et bien que la situation soit difficile, je ferai ce qu'il faudra pour y rester !".
Puisque l'on parle d'un "chez soi", d'une "maison", alors parlons économie ! Mais de l'économie au sens premier, celui de "la gestion de la maison". Et qu'est-ce que la maison "Martinique" aujourd'hui ?
Une maison où les membres se déchirent : problèmes entre les communautés, cancans politiques, non-communication ou incompréhension entre les politiques et le secteur privé. Voyez-vous, je suis rentré dans une maison où les membres se disputent en ce moment pour savoir quel drapeau planter dans le jardin !
Revenir en Martinique, oui ?! Mais pour faire quoi, comment et avec qui ?
Si les solutions seront nécessairement collectives, la situation actuelle l'est tout autant ! Pour en arriver à ce résultat - près de 4.000 habitants en moins chaque année depuis trop longtemps - c'est que chaque entité (sociales, politiques, publiques ET privées) a failli.
Il est temps de dépasser les phrases creuses et les effets d'annonce. Car, si les martiniquais partent (ou ne restent pas), c'est pour se développer personnellement et professionnellement, pour découvrir le monde, et donc pour aiguiser leur sens critique ! Et cela, tous niveaux d'instruction confondus ! Ils ne sont pas dupes et nous regardent. Alors, où commencer ?
Economie bleue (pour l'eau), économie verte (pour la transition énergétique), économie marron (circulaire), économie grise (silver économie)... le tout catalysé par le digital, nous dit-on !
Voilà ce qui ressort dans chaque discours, dans chaque promesse.
Mais quelle feuille de route ? Quelles structurations de filières ? Quels moyens humains et financiers fléchés concrètement ? Et quelle place pour notre jeunesse dans tout cela ?
Bleu, vert, marron, gris… on dirait que la palette des couleurs est sortie et que l'on dit à notre jeunesse « on a mis la pagaille … maintenant, allez-y, c’est à vous ! Dessinez un truc sympa ! ».
Vous l'aurez compris, je questionne ici la capacité de vos générations à intégrer le changement et la nouveauté (et notamment dans vos structures). Car il n'y aura pas que des start-uppeurs qui reviendront ; pour la plupart, ceux qui rentreront seront de nouveaux collaborateurs qui rejoindront vos structures pour relever avec vous ces défis !
Or, sans changement de votre côté, il n'y aura aucun changement. Si la jeunesse doit s'accommoder des modes de fonctionnement existants, alors elle perdra, sitôt rentrée, sa capacité de transformation.
Il ne s'agit plus de rêver ou de faire rêver. Il s'agit de se réveiller et de se mettre au travail, tous, ensemble et partout !
Changeons-nous, nous-mêmes et à notre niveau, puis changeons nos structures. Et si nous nous montrons capables d'accueillir le changement, alors nous accueillerons notre jeunesse !
Anicet ZADICK