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Quand la mobilité bas-carbone devient un enjeu vital pour les territoires d'Outre-mer...

Quand la mobilité bas-carbone devient un enjeu vital pour les territoires d'Outre-mer...

Cette note est empruntée à UltraLab, le Think-Tank des ultramarins de la FEDOM. Elle est rédigée par Matthieu Bergot. 

La mobilité bas-carbone insulaire : angle mort des politiques publiques dans les outre-mer.

Alors que la mobilité dans les îles constitue un axe structurant de leur développement et de la vie collective, les questions de mobilité souffrent d’une réflexion très insuffisante et peu mise en perspective avec les enjeux liés aux problématiques environnementales. Cette note plaide pour le développement d’une vision, qui ne se limite pas au format des planifications pluriannuelles de l'énergie (PPE), trop souvent mortes-nées, mais qui réalise une véritable analyse prospective de la mobilité bas-carbone insulaire à échéance 2050, date symbolique hypothèse de la neutralité bas-carbone planétaire, avec des solutions concrètes et un suivi responsable adapté à chaque outre-mer.

La dynamique de décarbonation de la vie économique est habituellement divisée en cinq secteurs : l’agriculture, l’industrie, l’énergie, le bâtiment et la mobilité. C’est la mobilité, pourtant si essentielle qui, partout dans le monde, résiste le plus aux efforts de décarbonation. Qu’elle soit lourde ou légère, terrestre, aérienne ou maritime, la mobilité nécessite encore aujourd’hui un recours massif aux énergies fossiles, gaz ou pétrole, souples, transportables et toujours bon marché. Les experts continentaux de la mobilité, de manière quasi-unanime, recommandent une électrification de celle-ci, avec pour date butoir, celle de 2035 fixée par l’Union européenne, pour la fin des ventes de voitures thermiques neuves. Cette électrification de la mobilité terrestre est aujourd’hui laborieuse sur le continent, elle est encore plus complexe pour la mobilité aérienne ou maritime. La décarbonation de la mobilité continentale est déjà en soi un immense défi.

A l’exception des îles désertes, l’insularité entretient un lien existentiel avec la mobilité. Il faut pouvoir accéder à une île, par la mer ou par les airs, et, on l’oublie souvent, il faut pouvoir s’y déplacer, avec des distances ou des dénivelés qui exigent aujourd’hui des véhicules terrestres motorisés. Les outre-mer français sont des îles (mettons ici provisoirement de côté la Guyane) et surtout des ZNI (Zones Non Interconnectées) avec une énergie électrique très carbonée (840 g/kWh en Martinique par exemple, contre 60 g/kWh en France métropolitaine). Les territoires insulaires cumulent donc un triple défi : la difficile décarbonation de la mobilité au niveau mondial, l’impérieux besoin d’en disposer et leur recours intense aux énergies fossiles, y compris pour produire de l’électricité.

Si l’on interroge des experts de la mobilité bas-carbone et du futur de la mobilité en général, la dimension insulaire est généralement absente de leur vision ; il y a déjà trop à faire sur le continent. Les îles n’ont de choix que de s’aligner ou d’être réduites à un problème marginal. L’absence de vision dédiée et spécifique sur cette question de la mobilité bas-carbone plonge donc les outre-mer dans une impasse. Singulièrement, la France dont la population outre-mer dépasse les 2,5 millions d’habitants n’a pas, pour le moment, créé les conditions pour qu’une telle vision, territoire par territoire, se développe. Pour les économies insulaires, cette situation est doublement dangereuse : elle promet un avenir sombre pour la vie dans les îles et ne permet pas de développer des solutions structurelles répondant à leur besoin et qui pourraient être mises en place dès maintenant.

Autrement dit : si le défi majeur de la mobilité insulaire n’est pas traité dès aujourd’hui, avec des décisions de politiques publiques structurelles, les outre-mer risquent, à moyenne échéance, d’être contraints à un dépeuplement progressif et un appauvrissement irréversible du fait les difficultés croissantes pour y envisager durablement une vie économique.

 

1. La mobilité insulaire ne peut pas se contenter de solutions continentales

Les voitures électriques, durablement alimentées avec de l’électricité très carbonée ne fournissent pas une solution de long terme. A moins de réduire leur taille et leur puissance pour rendre plus réalistes des rechargements par photovoltaïque ou de trouver des solutions de stockage viables pour les ENR produites localement.

Décarboner l’électricité ? Le Biofuel dans les centrales électriques, solution promue par EDF SEI est une solution trop coûteuse pour être pérenne, même rendue indolore pour les clients grâce à l’argent public. C’est aussi une solution qui ignore la hiérarchie des usages de la biomasse, donnée pourtant incontournable de la décarbonation. C’est enfin une solution qui renforce la dépendance énergétique insulaire, exactement l’inverse de ce qui est recherché.

La mobilité d’avant, obsolète parce que coûteuse et surtout inefficace, est encore promue dans certains territoires : le TCSP (bus sur voies dédiées) par exemple est une solution du XXème siècle, inadaptée au contexte des territoires ! C’est sans doute la raison pour laquelle un seul l’a adoptée (la Martinique) étant précisé que l’extension du tracé actuel est évaluée à 500 M€. Pour cette somme on peut avoir bien mieux !

Aujourd’hui les mobilités partagées, en réseau et à usage numérisé sont infiniment plus performantes et rendent un service bien meilleur aux usagers.  Osons la mobilité du futur et pas celle du passé !

Tout se passe comme s’il y avait une carence dans l’organisation de la réflexion pour les outre-mer. Or, l’enjeu est colossal : avant on scandait « no parking, no business » mais la réalité insulaire est plutôt « no mobility, no business ».

A force de plaquer des solutions continentales aux territoires insulaires, on ne traite aucun des enjeux des territoires que l’on risque de condamner à un inexorable déclin.

 

2. L’enjeu de la mobilité bas-carbone insulaire doit s’appuyer sur une vraie vision prospective dédiée

La réalité des ZNI est à prendre en compte dans l’ossature de la réflexion. On ne pense pas la mobilité dans une ZNI de la même manière que sur un continent ! Il faut une réflexion globale mobilité ET énergie et identifier un chemin cohérent entre décarbonation, investissement et vision prospective. L’horizon et le format des PPE sont bien trop courts concernant l’énergie. La mobilité bas-carbone et l’énergie ont besoin d’un horizon de réflexion plus vaste.

Une solution énergétique est souvent évoquée pour produire de l’électricité bas-carbone : les petites centrales nucléaires (SMR). Il ne faut sans doute pas l’exclure totalement. Mais il faudra de longues années avant que la maturité technologique soit éprouvée, et que l’acceptabilité sociale soit telle que cette solution s’impose. En attendant, il faut bâtir des scénarios sans cette technologie et notamment utiliser toute la panoplie de solutions : mobilité douce, mobilité partagée, covoiturage, etc.

La mobilité est une condition d’existence de l’économie insulaire. Les grands acteurs de la mobilité maritime et aérienne travaillent d’arrache-pied pour réduire l’impact carbone de leurs solutions (CMA-CGM, Airbus, etc.) mais la mobilité terrestre est dans une phase critique : si rien n’est fait, si on laisse des centaines de millions s’évaporer dans de fausses pistes (TCSP, Biofuel dans les centrales EDF par exemple), l’avenir des territoires est mis en péril.

Le sujet de la mobilité bas-carbone insulaire mérite un vrai plan stratégique. Il n’est que temps d’engager cette démarche.

 

3. Pour être efficace, la méthode devra permettre à chaque territoire de porter une vision « ZNI » à la fois mutualisée avec les outre-mer, et enracinées localement

Les situations sont localement variées : il y a par exemple de la géothermie en Guadeloupe, de l’hydraulique en Guyane. Les solutions doivent réellement être portées par les territoires et tenir compte de leurs spécificités. Avec malgré tout un principe commun de recherche du bas-carbone durable, des coûts performants et de l’autonomie énergétique insulaire.

Il faut réfléchir aux solutions pertinentes localement. Par exemple, le facteur d’émission en CO2e d’un véhicule hybride alimenté en bio-carburant est meilleur que celui d’un véhicule électrique, qui génèrent en plus des déchets problématiques et durables,  car on ne sait ni recycler localement, ni exporter par voie maritime leurs batteries usagées à coût acceptable. Ou encore, creuser la piste de redonner vie au concept de « Taxicos » en étudiant la création des flottes de transport bas-carbone, à hydrogène par exemple, accessibles et avec une capillarité inégalable, grâce à des systèmes via smartphones. Et compléter cela par des systèmes intelligents de covoiturage, de voitures partagées, etc.

En complément d’une action énergique pour développer des transports en commun bas-carbone, rendre possible sans attendre et organiser des déplacements locaux à vélo à assistance électrique. Aujourd’hui, la pratique du vélo est globalement suicidaire dans les Outre-mer car les infrastructures sont inexistantes. Demain il faut que se déplacer à vélo avec ou sans assistance électrique soit largement possible, pour les déplacements locaux, sur tout le territoire. Un investissement massif dans ce domaine pourra contribuer à développer une nouvelle forme de mobilité, bas-carbone et économique. Ne pas oublier que la vie locale est soumise à la possibilité de se déplacer à coût modéré. 

A terme, savoir produire son propre SAF (Sustainable Aviation Fuel) comme l’annonce aujourd’hui l’Islande sera un gage d’autonomie et permettra de garantir la connectivité des îles. Il faut regarder ce qui est possible, mutualisable, et économiquement viable à terme. De petites unités locales de e-fuels à base de CO2 et de H2 ? Aujourd’hui c’est de la science-fiction, mais l’enjeu mérite qu’on regarde ce qui sera possible dans 20 ou 30 ans.

Sans pouvoir écrire dès le départ toute la stratégie pour la mobilité bas-carbone insulaire, certaines décisions s’imposent et permettront d’alimenter une réflexion qui devra dans tous les cas être co-construite dans la durée avec chaque territoire et partagée.

 

4. Au niveau institutionnel, il faut dès maintenant un processus de réformes structurelles de bon sens pour préparer l’avenir

Une autorité de la mobilité bas-carbone doit être identifiée, confiée à l’organe de l’Etat le plus approprié. Il est de la responsabilité de l’Etat de ne pas laisser ce sujet s’embourber dans ses propres inerties. Cette autorité aurait la responsabilité d’orchestrer au sein de tous les Outre-mer une méthode et des livrables clés. Et de mener le travail législatif indispensable pour impulser et accompagner les changements profonds.

Une méthode pourra être de déployer des solutions d’avenir avec certains territoires volontaires et essaimer dans un deuxième temps. L’exemplarité est efficace car elle permet d’incarner les solutions, de les rendre vivantes et adaptées à chaque territoire, au lieu de les confiner à des arbitrages loin du terrain.

Enfin, une méthode générale devra être employée : favoriser la légèreté, la sobriété, l’expérimentation même à petite échelle, l’ouverture aux initiatives locales et entrepreneuriales. Si les Outre-mer peuvent se prévaloir d’une chose c’est de leur capacité entrepreneuriale et créative : appuyons-nous dessus !

Il n’est pas exagéré de dire que la mobilité bas-carbone relève d’une question vitale pour les outre-mer. A moins de souhaiter une réduction drastique des populations de ces territoires, et une paupérisation forcée de leurs économies, il faut agir dès maintenant. Les outre-mer en ont la capacité. 

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