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Quand les territoires d'Outre-mer doivent se mettre massivement au vélo...

Quand les territoires d'Outre-mer doivent se mettre massivement au vélo...

Cet article est une contribution de Matthieu BERGOT, à laquelle nous souscrivons pleinement, hormis une petite réserve : Le projet d'une grande piste cyclable ne doit pas s'opposer au projet d'une grande route dorsale multimodale en Martinique (voir ici) qui, à notre sens, contribuera à désenclaver le territoire et à réduire considérablement l'impact environnemental des bouchons automobiles actuels.

La mobilité outre-mer s’est largement développée autour de la voiture, devenue même parfois un objet culte, dont le développement hypertrophié a atteint ses limites. Et s’il était temps de renverser la table, et de développer massivement des pistes cyclables ? Il ne s’agit pas d’une lubie écolo mais d’un acte stratégique, qu’encourage aujourd’hui le développement des vélos à assistance électrique : moins de pollution, moins d’impact sur l’environnement, une meilleure santé, moins d’embouteillages, une vie professionnelle facilitée, c’est aussi et surtout une manière d’anticiper et d’organiser la résilience des territoires face aux périls, notamment énergétiques, à venir et certains.

Le tout-automobile dans les outre-mer : un modèle à bout de souffle

Le modèle du « tout-voiture », adopté tacitement au fil des années percute aujourd’hui une réalité cruelle et aux facettes multiples:

  • Le trafic est désespérément lent aux endroits plus critiques des territoires, avec un impact non seulement sur la durée des trajets mais aussi sur la pollution.
  • Le temps de transport est long et imprévisible (hors sections type TSCP qui ne représentent qu’une fraction du réseau)
  • La capillarité des transports en commun est insuffisante et leur fiabilité doit être améliorée (temps de parcours, jours de non-grève, etc.)
  • L’obligation de facto de disposer d’une voiture crée une barrière à l’entrée de toute activité qui a besoin de mobilité, notamment pour les plus démunis. 
  • Le coût des carburants – on l’a vu récemment – devient une épée de Damoclès pour les budgets des plus démunis, et pour la paix sociale.
  • L’économie et la vie sociale (entreprises, écoles, administrations etc.) sont congestionnés par ces temps de transport.
  • Le coût environnemental et climatique est gigantesque (Gaz à effet de serre, pollution de l’air, déchets, VHU, etc.)

Ce modèle est à bout de souffle, il n’a aucun avenir sans une modification profonde.

L ’urgence d’un plan de mobilité radicalement nouveau

On arrive à un point où l’ensemble des acteurs (concessionnaires automobiles, utilisateurs, collectivités territoriales, Etat, entreprises) ont tout intérêt à se retrouver pour imaginer un avenir différent, définir des objectifs, et élaborer un plan stratégique d’envergure. 

Un plan de mobilité territoriale pourrait se donner les objectifs suivants :
  • Environnemental : réduire drastiquement la pression environnementale et climatique.
  • Economique : augmenter significativement l’autonomie du territoire par rapport aux énergies fossiles.
  • Social : diminuer fortement le coût d’accès à une mobilité fluide dans les territoires.

Et si l’Etat et les collectivités lançaient un plan massif de construction d’infrastructures pour les vélos et vélos à assistance électrique, en complément d’une politique ambitieuse pour augmenter la fiabilité et la capillarité des transports en commun ?

La question des transports en commun a été déjà traitée et est bien identifiée. La stratégie initiée (mais demandera du temps et beaucoup de conviction politique pour arriver à son terme) est de mettre en place des dorsales type TSCP fiables et complétées par une capillarité à base de bus, covoiturage, taxis, taxicos, etc. Cette capillarité doit irriguer l’ensemble des communes, avec des études fines de besoins et de trafic et l’appui de la technologie (collecte et traitement de données en temps réel à base d’IA) pour que l’offre soit adaptée en permanence aux besoins, et à moindre coût.

Le vélo à assistance électrique change la donne dans les outre-mer

Cet article se focalise sur un aspect apparemment peu documenté à ce jour : la mobilité à assistance électrique à vélo, et donne quelques illustrations en Martinique

Le vélo se heurte à trois grandes familles d’objections :

  1. Le réseau routier n’est pas fait pour cela
  2. Le climat et la topographie ne sont pas faits pour ce type de déplacements
  3. Jamais les gens ne voudront abandonner leur voiture

Chacune de ces objections est pertinente, mais le nouveau contexte invite à les éclairer autrement :

  1. Le réseau routier doit être adapté

De fait, aujourd’hui il est presque suicidaire de pratiquer le vélo outre-mer : tout a été pensé pour la voiture, plus marginalement pour le bus.

Modifier le réseau routier et créer dans chaque territoire quelques centaines de km de pistes cyclables protégées représenterait un effort significatif mais accessible.

Prenons l’exemple de la Martinique, qui compte 2 123 km de routes dont 358,5 km de nationales. Pour un coût moyen au km d’une piste cyclable de 250 k€ (c’est un ordre de grandeur), l’effort d’équiper les nationales (les plus dangereuses pour les cyclistes et les plus utiles pour couvrir le territoire) représenterait 89,6 M€, somme relativement modeste vu l’enjeu. Les fonds européens et les moyens de la CTM y serait tout à fait proportionnés.

Sur l’ensemble des 5 DOM, on parlerait d’une enveloppe d’un ordre de grandeur de 500 M€ pour initier un réseau et une pratique, chiffre tout à fait modeste en comparaison des infrastructures classiques (cela représenterait en tout l’équivalent de 3 km d’autoroutes).

Bien sûr, c’est un « ordre de grandeur » ; il faudrait mener des études fines pour chacun des territoires.

Moyennant des choix budgétaires mesurés, on pourrait changer la vie de dizaines de milliers de personnes en leur permettant une mobilité douce et vertueuse, et en fait transformer l’avenir des territoires.

  1. Le climat et la topographie ne sont plus un obstacle infranchissable

Les pluies fréquentes peuvent être vues comme un obstacle. Mais un changement d’habitudes vestimentaire (vêtements de pluie à portée de main voire vêtements de rechange) peut d’autant plus accompagner ce changement que de nombreux exemples indiquent que cet obstacle n’est pas réel. A Amsterdam par exemple, peu réputé pour son soleil radieux, le vélo est roi : il y pleut toute l’année, certes avec des pluies souvent plus fines que sous les tropiques mais la marche à surmonter pour passer de la pluviométrie d’Amsterdam à celle de des outre-mer n’est pas insurmontable, si l’on met à part peut-être les phénomènes type ondes tropicales, qui ont représenté 14 jours sur 365 en 2020 par exemple en Martinique, dont une bonne partie pendant les congés de juillet-août.

Amsterdam est dans un pays plat, la topographie au relief accidenté de la plupart des outre-mer (Guyane mise à part) associée à la chaleur est physiquement un véritable obstacle : arriver en transpiration à sa destination n’est pas très compétitif par rapport au fait de sortir de sa voiture climatisée. Une rupture technologique vient combler ce déficit pratique : le vélo à assistance électrique, qui permet de modérer l’effort musculaire pour franchir les montées inéluctables.

La batterie du vélo représente une charge de l’ordre de moins de 1 kWh : c’est une charge tout à fait accessible à une charge rapide sur le réseau, ou à un dispositif domestique de panneaux solaires (ordre de grandeur : 4 panneaux solaires pendant 1h génèrent cette énergie), à comparer à une batterie de voiture électrique qui nécessite 50 fois plus d’énergie pour une charge complète. Le vélo à assistance électrique est bien un outil de mobilité qui facilite l’autonomie et la résilience face par exemple à une panne de réseau électrique.

En somme, la solution de vélo à assistance électrique, en plus des vélos traditionnels, permet d’offrir une solution tout à fait viable pour créer une offre de mobilité bas-carbone et économique, favorisant l’autonomie de son utilisateur, et en toute sécurité si les infrastructures sont prêtes. Il reste à examiner la capacité des gens à changer.

  1. Les automobilistes sont largement mûrs pour adapter leur mobilité

Le confort d’une voiture climatisée, avec son kit main-libre pour téléphoner et sa radio, paraît imbattable pour la mobilité individuelle (plus de la moitié des déplacements). Mais à quel prix ?

Coût environnemental et climatique : les automobilistes sont de plus en plus conscients de l’impact négatif de leur véhicule sur l’environnement et le climat. Même la solution « véhicule électrique » divise encore les experts.

Coût économique (acquisition, utilisation) d’un véhicule hors de proportion avec le budget des ménages. Les véhicules sont achetés à crédit, avec un l’Etat hyper-endetté qui s’épuise à faire des remises à la pompe pour compenser les hausses de coût : on est au bout d’un système.

Coût anticipé de l’énergie dans le futur : La guerre en Ukraine rappelle que le coût de l’énergie est une donnée dont la stabilité n’est pas garantie. Il est même certain que son instabilité à la hausse est garantie à l’avenir.

Coût sur l’expérience des usagers : beaucoup d’automobilistes sont las des embouteillages, des prix à la pompe qui siphonnent leur pouvoir d’achat, ou des réparations et changements de pneus plus nombreux à cause de la chaleur, de l’air marin, ou de l’état des routes. L’expérience automobile outre-mer n’est pas sans contraintes additionnelles.

Coût pour la santé : la voiture isole de l’extérieur. La coupure avec la nature est réelle. De plus, conduire une voiture n’est pas une activité sportive.

Anticiper dès maintenant le choc à venir

Pour changer il faut parfois un choc, une prise de conscience. Le choc arrivera tôt ou tard, et peut-être très violemment. En effet, on sait par exemple que la production annuelle de pétrole dans le monde va être divisée par deux en 2050, ce qui veut dire pour la France une division par 2 à 9 selon des experts, car les pays producteurs (donc pas la France) auront tendance à en garder davantage pour eux. Faut-il attendre d’avoir un litre de super à 20 euros pour réagir ?

Certains ont bien conscience de l’enjeu. Des experts à la Martinique travaillent en ce moment même sur une piste cyclable entre Fort de France et Trois-Ilets (33 km) : ce pourrait être le début d'une prise de conscience, mais il faut une réelle impulsion politique pour passer le cap et aller 10 fois plus loin (environ 350 km de pistes cyclables sur tout le territoire)

Il faut signaler l’initiative prise en Guadeloupe avec 35 vélos à assistance électrique en libre-service pour le grand public. Là aussi un bon signal, mais insuffisant tant que les pistes cyclables ne sont pas en service, et surtout tant que la quantité de vélos n’est pas significative à l’échelle de la population (environ 350 000 habitants).

A La Réunion on trouva aussi des initiatives de ce genre lancées par des hôtels, des loueurs professionnels.

Cette note n’aborde pas les questions de propriété, leasing ou mise à disposition de vélos à assistance électrique, mais uniquement celle du déblocage du verrou des infrastructures routières qui doivent mettre en sécurité le cycliste. Tout indique qu’une fois le verrou de l’insécurité routière levé, les équipements de vélos (achetés, loués, empruntés, etc.) seront facilités.

En somme, un plan stratégique ambitieux pour créer des infrastructures dédiées aux vélos et aux vélos à assistance électrique doit être déployé dans chaque territoire en complément des stratégies de transports en commun existantes. Cet objectif est loin d’être insurmontable, et il est à l’évidence prioritaire.

Moins de pollution, moins d’impact sur l’environnement, une meilleure santé, moins d’embouteillages, une vie professionnelle facilitée, c’est aussi une manière d’anticiper et d’organiser la résilience des territoires face aux périls énergétiques à venir. Une nouvelle ère de créativité pour la mobilité comme l’illustre le tableau ci-dessous.

La mobilité à assistance électrique offrira des solutions pertinentes pour presque tous les usages : il est temps de leur permettre de rouler en toute sécurité.
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