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Laisse-moi te dire

Quand le créole déclenche les plus belles envolées lyriques...

Quand le créole déclenche les plus belles envolées lyriques...

Le 19 août dernier, Serge Letchimy adressait un courrier "poétique" au préfet de Martinique pour lui signifier son refus de retirer l'article 1 de la délibération de la CTM portant reconnaissance du caractère officiel de la langue créole. Ce courrier de résistance, inspiré des accents Césairiens, est un émouvant plaidoyer en faveur d'un impossible combat visant à reconnaitre la langue créole comme langue officielle de la Martinique. Une démarche illégitime au regard des institutions judiciaires françaises qui nous régissent. En effet, l'unité républicaine, à laquelle nous appartenons de fait, repose sur la reconnaissance d'une seule langue officielle - la langue française - auprès de laquelle peuvent bien sûr s'épanouir toutes les langues régionales du pays : le corse, le breton, le catalan, le créole... Pour certains observateurs, déroger à cette règle constitutionnelle reviendrait à nous mettre de facto en marge de la République, et nous inscrire dans une aventure aux issues incertaines.

Pourtant, dans son courrier aux belles envolées lyriques, Serge Letchimy présente son refus comme "un acte de marronnage, une déclaration de dissidence". Cette adresse "littéraire" au représentant de l'Etat en a surpris plus d'un, dont un citoyen martiniquais qui publie à son tour un texte aux mêmes accents fleuris :

Monsieur le Président du conseil exécutif de la CTM,

L’instinct de liberté que m’offre ma langue, la langue française, nourrit toutes les puissances de ma personnalité. Il affermit ma capacité à être au monde et fortifie ma construction en tant qu’être. Il m’offre la possibilité de m’épanouir pleinement, si je le veux, sur les chemins balisés ou marrons de ma langue créole. Il m’offre la possibilité d’en faire mon étendard, mon cri ou ma joie sans avoir besoin d’une estampille administrative française. Ma langue officielle française s’accommode très bien de la liberté de ma langue créole.

Me contraindre à adopter la langue créole comme langue officielle ne rajoutera rien à mon identité française, martiniquaise et créole. Une identité multiple que ma liberté rend si précieuse.

Jamais ma langue officielle, la langue française, n’a cherché à ensevelir ma langue de cœur, le créole. Jamais elle ne m’a pressé à m’ignorer moi-même dans le saignement de la part universelle de mon droit à l’existence. Bien au contraire. Elle m’a porté aux confins de l’humanité fière, elle a donné au monde l’éclat de mes combats. Elle a exalté Césaire, Glissant, Fanon, Chamoiseau et tant d’autres. Et elle a laissé fleurir ma langue créole.

Jamais la langue française qui nous dessine au monde, ne nous a enlevé une parcelle de ce que nous sommes fondamentalement. Jamais ma langue officielle n’est venue brider l’insolence et la force de ma langue créole. Jamais.

Je vous rassure, Monsieur le Président, refuser un titre officiel à ma langue créole ne la jugulera pas. C’est bien mal la connaître que d’imaginer un seul instant qu’elle cherche des honneurs républicains, qu’elle veut un cachet de cire ou un strapontin bureaucratique. C’est bien la mépriser que d’imaginer qu’elle nuirait à mon identité si on la maintenait en l’état. Rassurez-vous, mon identité est solide.

Ma langue officielle, la langue française, s’inscrit dans l’universel des droits de l’homme et du citoyen, chèrement acquis de plusieurs luttes. Elle me donne l’unité première que je peux à chaque instant revendiquer face au monde. Elle me suffit à être pleinement citoyen de la planète, sans réserve régionale, sans spécificité locale. Pleinement tout simplement !

Ma langue officielle, la langue française, ne m’empêche pas d’assouvir mon besoin de reconnaissance des valeurs essentielles liées à l’organisation de la vie de mon peuple. Elle n’alimente aucune rancœur issue de l’abolition de l’esclavage et de la décolonisation, ni d’aucun autre repli de l’histoire. Elle n’entraine en rien la Martinique dans le néolithique de la responsabilité. La responsabilité du pays n’est d’ailleurs pas de doubler ses langues officielles mais bien de relever ses vrais défis économiques et sociaux. De prendre à bras le corps les combats de l’eau, des transports, de la gestion des déchets, de l’attractivité territoriale, du développement économique… Elle est d’engager une coopération constructive avec toutes ses forces vives, ses entreprises, ses élus, l’État. Elle est d’écarter tous ses risques d’enfermement pour mieux s’ouvrir au monde et épanouir ses citoyens.

Permettez-moi de vous rassurer, Monsieur le Président. En acceptant l’idée séculaire que votre langue officielle, la langue française, ne retire rien à la force de votre langue de cœur, la langue créole, vous ne trahiriez pas votre pays, la Martinique, et si vous consentiez à le faire, je saluerais alors l’élégance de votre posture.

Puisse cette élégance vous aider à reconnaitre pleinement et sans réserve votre langue, la langue française, comme seule langue officielle, au même titre que tous vos frères de France qui ne souffrent, eux non plus, d’aucune singularité républicaine. Qu’ils soient Catalans, Bretons, Corses ou Réunionnais.

Oui, opposer le français au créole est une laborieuse posture fabriquée entre liberté et égalité. C’est une position désuète qui enferme au lieu de fraterniser dans l’unité de la République. Cette unité que nous sommes si nombreux à partager par-delà nos frontières, dans le ciment de notre seule langue officielle, la langue française.

Assumer sans complexe votre langue française ne vous empêchera jamais d’enrichir votre langue martiniquaise. La langue française, par son unité républicaine, fait de vous un Français à part entière. Elle ne fera jamais de vous un Martiniquais entièrement à part.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma considération distinguée.

Un citoyen Martiniquais

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