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Laisse-moi te dire

Quand Yvon Joseph-Henri prend Une Minute...

Quand Yvon Joseph-Henri prend Une Minute...

Yvon Joseph-Henri vient de terminer la lecture de Une Minute. Il livre ici son analyse de texte...

Emmanuel de Reynal, vous le connaissez tous. Un individu doux, en apparence sans aspérité, parce qu’il est avant tout consensuel et surtout très discret... J’aime à penser qu’il est le correspondant en écriture de Maher Beauroy. En tout cas, lui aussi, il aime à triturer les formes d’écriture – et non pas tant l’écriture elle-même, les mots que les formes -, et ce faisant, il donne aussi le sentiment d’évoluer intimement. « J’ai commencé à écrire à l’envers, ce qui n’est pas un bon départ dans la vie ».

Emmanuel de Reynal est un poète par ce besoin nécessaire de s’emparer de tout, forme et contenu, et d’y conduire une réflexion sur ce qui se passe et qu’il vit comme Martiniquais. Il est voluptueux et a découvert le secret de la sensualité du pied, lui qui nous dit subrepticement aimer « la liberté des pieds nus » et « sentir la plage épouser mes orteils ».

Rien ne lui est étranger, tout le concerne. Par contre son avant-dernier ouvrage, « Une minute » est une manière surprenante de nous ramener, dans l’écriture, au temps. Et sous cet angle, on est bien dans l’art qui cherche, par illusion à nous donner le sens des réalités. Le livre est censé nous raconter un réveil qui dure une minute... après la sonnerie du réveil. Autrement dit l’auteur prend le contrepied de la plupart des romans qui nous racontent une vie en un certain nombre de pages : or une vie sous cette forme est stylisée, raccourcie tout en nous apparaissant vraie ou réaliste.

Emmanuel de Reynal en prenant le contrepied nous ouvre l’équivalent d’une madeleine de Proust, ou plus localement d’un bâton de chocolat Elot au goût inoubliable et au craquant antédiluvien de sucre cristallisé incomplètement fondu, ou encore la gelée Aurore dont la rougeur s’illuminait de lumière à peine ouverte la boîte métallique comme un vitrail de cathédrale. Oui la poésie d’Emmanuel de Reynal est dans l’expression du souvenir. Ce n’est pas nouveau chez lui, mais c’est bien plus intime que dans ses œuvres romanesques précédentes comme Recta Linea. Cette intimité est sans doute liée aux lieux qui jalonnent son enfance : Saint Pierre et Morne Rouge, Anses d’Arlet, que l’on retrouve dans le creuset d’alchimiste du Diamant. Comme si, Le Diamant qui est le choix personnel d’un lieu de vie pour s’y implanter, offre en ricochet la profondeur, l’épaisseur, la densité d’une vie.

En fait, je dois dire que si j’ai toujours préféré dans la littérature la problématique au simple récit, j’aime Une Minute par ce ton de confidence intime qui recouvre en fait un axe temporel vertical tandis que le temps du réveil, comme celui du covid, est plus horizontal. En même temps, ce temps hors du temps est prétexte à s’interroger sur ce que signifie le confinement, ses effets positifs et négatifs, ainsi que sur le comportement de nos concitoyens tant médecins et scientifiques que quidams ordinaires.

Sur le plan de la réflexion, évidemment se trouve mis en cause ce monde de l’immédiat, inondé de débats et les réflexions contradictoire, où les médias s’attachent plus à évoquer semble-t-il ce qui divise que ce qui réunit. Et ce monde est tellement différent de celui de cette enfance martiniquaise…

Si différent ? Parce qu’il est instable, bancal ? Parce qu’il est raciste ? ou parce que dans les instants d’hystérie les mots n’ont plus de digues ?

Et si c’était tout simplement parce que remontent les remugles de l’Homme primitif, égoïste, inculte et de ce fait, inquiet de tout ; et que « la peur réveillait les monstres et les nourrissait de haine » !

N’est-ce pas nous autres qui sommes en cause ; d’avoir idéalisé un monde en progrès matériel mais en déclin intellectuel et moral ? Un monde où l’Homme est perdu alors qu’il réclame des certitudes que seule donne parfois la connaissance profonde de la littérature et de la science… Camus dans La Peste, évoquait le fléau dans lequel il dénonçait la punition divine, et toute croyance à la Faute originelle de l’Homme et de l’humanité. Emmanuel de Reynal n’a pas cette certitude, il crie à la fraternité, à l’amour dans un monde féroce où l’autre n’est autre que notre ennemi parce que toutes les barrières, issues de notre éducation et qui contenaient l’infâme, ont cédé.

Yvon Joseph-Henri, mai 2022

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